jeudi 17 septembre 2009

Un quart de nuit, comme une playlist...

A la descente nous changeons d'heure toutes les vingt quatre heures. Chaque nuit dure une heure de plus. Nous nous la partageons entre les officiers de quart. Le reste, c'est du sommeil en cadeau. Ce matin, c'est donc pour trois heure quarante que me réveille le Lieutenant Navigation.


Lorsque j'arrive à la passerelle, Jupiter brille au ponant, juste au dessus de l'horizon, elle sera parfaite à tirer pour une variation (le calcul de l'erreur du compas, gyroscopique en l'occurence).


Je rêgle les appareils à ma convenance, branche mon ordi sur iTunes DJ et vais pour m'installer confortablement, donnant congé à Sergei: je lui souhaite la bonne nuit et lui dis à demain. Il me reprend en me disant qu'on est déjà "demain". Je réplique que vu le bordel de la vie à bord, tant que je dors entre les deux: c'est demain! Il part en rigolant.


- Téléphone: Le chat -


Mais entre temps, Jupiter a disparue! Happée par les nuages bas sur l'horizon. Je suis déçu et me dis que je ferai ma variation plus tard, les autres étoiles sont plus hautes et moins brillantes. Et puis je suis pris d'un doute affreux. Je lance Winstar (parce que je suis flémmard et tant qu'a avoir un logiciel efficace) et simule le ciel. Diable. Couchée dans 5 minute. Raté pour Jupiter: je ne la verrai pas ressortir ce matin. Je simule l'heure suivante. Venus se lève sous peu: parfait. Rassuré, je profite du temps imparti pour me mettre une tasse de thé à infuser. Armé de cette dernière et d'un croissant grappillé au carré avant de monter, je m'installe sur l'aileron et profite du vent léger.


- Air: Moon Safari -


Venus est sortie. Je m'en vais sur l'aileron tribord monter l'alidade sur le répétiteur du gyro, décidé à ne pas la manquer. Sous le vent, on sent la cheminée mais babord a été testé aux quarts précédants. Je vise, note mentalement le relèvement et enclenche mon chronomètre, puis à la table à carte, la postion, notre cap et l'heure précise. Je cale le petit papier sous le compas, vais chercher l'almanach nautique Brown et le pose à coté: je ferai les calculs plus tard, à la lumiere du jour.


-J.S. Bach: Suite pour violoncelle n°1 -


Sur le radar de petites tâches jaunes apparaissent. Des nuages clairement. Un alignement parfait. J'en profite pour comparer leur trace rémanente aux indications de l'anémomètre que l'on pensait douteux. Les deux concordent: vent établi du sud ouest force trois. Avant peu nous serons sous la pluie.


- Sufjan Stevens: Chicago-


Je cogite un peu pendant ces quarts. J'ai appris incidemment que les matelots étaient sur le point de se tatouer entre eux. A défaut de pouvoir limiter ce genre de pratiques, j'envisage d'en parler au Commandant, pour pouvoir stériliser leur matériel et leur fournir quelques accessoires afin d'éviter les désagréments. On pourrait aussi envoyer un mail au centre de Purpan, histoire de récupérer quelques conseils.


- Mylo: Paris Four Hundred -


L'horizon se bouche. Tout d'un coup, l'avant semble pris dans du coton: dans l'obscurité, les vibration couvrant le bruit des gouttes, on sent, plus qu'on ne voit, la pluie.

Je m'arme d'un canari pour aller dessaisir la porte de l'aileron. L'averse fouette, je tire la lourde porte et pèse sur la barre de verrouillage, puis je retourne sur le tableau de bord.

Je vais pour atteindre la commande des essuises-glaces, mais dans le noir, ma main heurte le joystick de commande de la barre; balançant celle-ci en mode manuel. Le pilote automatique beugle son mécontentement à grand renfort de diodes rouges. Toujours surprenante cette alarme! Je tatonne un peu pour trouver le bouton d'aquittement. Ca devrait pourtant tenir du reflexe, ce coup, c'est la blague classique qu'on fait à tous les nouveaux embarquant: en ajoutant quelques hurlements de terreur, effet garanti! J'attrape une lampe torche. "Previous mode. Autopilot en fonction, je re-rentre le cap.


- Eddy Vedder: Society -


Je me rassoit dans le fauteuil. Puis me relève et replonge ma boule à thé dans une tasse d'eau chaude. Seconde infusion, plutôt de l'eau sucrée qu'autre chose: j'ai juste besoin de boire chaud. Porte fermée, privée du courant d'air légèrement tropical, la passerelle se rafraîchit au rythme rapide de la climatisation.


Je cogite encore. Je pense au congés à venir. Berlin, sans doute, l'appartement que j'y aurai. Sa décoration. J'imagine mon bureau, des grandes fenêtre, la grisaille. Le feu de tête de mât avant se départit de ses moustaches: la pluie a cessée. De l'autre coté des nuages, le ciel est clair, un petit croissant de lune rince les constellations les plus hautes.


- Richard Les Crees: Good inside -


Le bouton de "l'homme mort" pulse, je l'écrase avant qu'il ne se mette à sonner. Celui-ci est si strident qu'il ferait passer l'alarme du pilote auto pour un vieux chat $$$$$$$. Le jour ne vas pas tarder à se lever. A l'horizon, un petit point: navire! Je vérifie le radar, confirmation. Le premier depuis deux jours. Route opposée, CPA (closest point of approach) à 2,5 miles. Il vient sans doute de là où nous allons et va là d'où nous venons.


- Pulp: Feeling called love -


Je reporte mes points sur la carte lorsqu'elle se couvre de petits points lumineux. Le soleil émerge et se reflète dans la mini-boule à facette suspendue aux lampes de la table. Il rase les grues et me chauffe la nuque. Le navtex déroule doucement un bon mètre de papier thermique avec les messages du matin.


- Her Space Holliday: You and Me -

1 commentaire:

  1. Flute, j'espèrai avoir des explications sur les calculs réalisés avec la position des étoiles, comment ça marche, pourquoi faut le faire (y'a pas de GPS sur ta coque de noix?)...

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