vendredi 25 septembre 2009

Précisions...

Hihi! Spéciale dédicace à notre Cerise nationale!

J'ai cinq minutes, alors je développe:

_ à chaque quart, on fait une petite manip' rapide qui consiste à prendre le relèvement d'un astre. On le compare ensuite avec son azimut calculé grâce aux éphémérides nautiques... Cela nous permet de savoir si notre compas est juste. Car malgré toute la technologie déployée, rien ne sert de courir la vague si elle n'est pas ajustée à point!

_ de même pour le positionnement: le GPS, c'est bien, mais d'une part ça n'est pas infaillible; d'autre part, heu, ça n'est pas infaillible. Donc, quand le temps s'y prête, on sort le sextant! Car pour se positionner, il va nous falloir la hauteur d'un astre ou du soleil à un temps précis (la seconde près). Ensuite, on part d'une position estimée et on calcule à l'heure dite, la hauteur à laquelle on devrait observer l'astre (toujours en fourrageant dans ces maudites éphémérides ou dans le fameux almanach Brown, pour les navires un peu anglo-saxons). On fait la différence des deux, puis on reporte cette distance en secondes à partir de la position estimée dans l'azimut de l'astre (calculé aussi). Perpendiculaire au point obtenu on peut tracer une première "droite de hauteur" (en fait, l'approximation locale d'un arc de cercle), sur lequel on se trouve. Suffit de s'en taper trois comme ça, et l'intersection nous donne la position du navire!

Claaaasse non?


Bon, on fait les TP au prochain dîner des blogueurs!


Je dois filer, j'ai un vieillissement à fêter dans un resto à peine légal à la lisière de la jungle!

Clandestin...


jeudi 17 septembre 2009

Un quart de nuit, comme une playlist...

A la descente nous changeons d'heure toutes les vingt quatre heures. Chaque nuit dure une heure de plus. Nous nous la partageons entre les officiers de quart. Le reste, c'est du sommeil en cadeau. Ce matin, c'est donc pour trois heure quarante que me réveille le Lieutenant Navigation.


Lorsque j'arrive à la passerelle, Jupiter brille au ponant, juste au dessus de l'horizon, elle sera parfaite à tirer pour une variation (le calcul de l'erreur du compas, gyroscopique en l'occurence).


Je rêgle les appareils à ma convenance, branche mon ordi sur iTunes DJ et vais pour m'installer confortablement, donnant congé à Sergei: je lui souhaite la bonne nuit et lui dis à demain. Il me reprend en me disant qu'on est déjà "demain". Je réplique que vu le bordel de la vie à bord, tant que je dors entre les deux: c'est demain! Il part en rigolant.


- Téléphone: Le chat -


Mais entre temps, Jupiter a disparue! Happée par les nuages bas sur l'horizon. Je suis déçu et me dis que je ferai ma variation plus tard, les autres étoiles sont plus hautes et moins brillantes. Et puis je suis pris d'un doute affreux. Je lance Winstar (parce que je suis flémmard et tant qu'a avoir un logiciel efficace) et simule le ciel. Diable. Couchée dans 5 minute. Raté pour Jupiter: je ne la verrai pas ressortir ce matin. Je simule l'heure suivante. Venus se lève sous peu: parfait. Rassuré, je profite du temps imparti pour me mettre une tasse de thé à infuser. Armé de cette dernière et d'un croissant grappillé au carré avant de monter, je m'installe sur l'aileron et profite du vent léger.


- Air: Moon Safari -


Venus est sortie. Je m'en vais sur l'aileron tribord monter l'alidade sur le répétiteur du gyro, décidé à ne pas la manquer. Sous le vent, on sent la cheminée mais babord a été testé aux quarts précédants. Je vise, note mentalement le relèvement et enclenche mon chronomètre, puis à la table à carte, la postion, notre cap et l'heure précise. Je cale le petit papier sous le compas, vais chercher l'almanach nautique Brown et le pose à coté: je ferai les calculs plus tard, à la lumiere du jour.


-J.S. Bach: Suite pour violoncelle n°1 -


Sur le radar de petites tâches jaunes apparaissent. Des nuages clairement. Un alignement parfait. J'en profite pour comparer leur trace rémanente aux indications de l'anémomètre que l'on pensait douteux. Les deux concordent: vent établi du sud ouest force trois. Avant peu nous serons sous la pluie.


- Sufjan Stevens: Chicago-


Je cogite un peu pendant ces quarts. J'ai appris incidemment que les matelots étaient sur le point de se tatouer entre eux. A défaut de pouvoir limiter ce genre de pratiques, j'envisage d'en parler au Commandant, pour pouvoir stériliser leur matériel et leur fournir quelques accessoires afin d'éviter les désagréments. On pourrait aussi envoyer un mail au centre de Purpan, histoire de récupérer quelques conseils.


- Mylo: Paris Four Hundred -


L'horizon se bouche. Tout d'un coup, l'avant semble pris dans du coton: dans l'obscurité, les vibration couvrant le bruit des gouttes, on sent, plus qu'on ne voit, la pluie.

Je m'arme d'un canari pour aller dessaisir la porte de l'aileron. L'averse fouette, je tire la lourde porte et pèse sur la barre de verrouillage, puis je retourne sur le tableau de bord.

Je vais pour atteindre la commande des essuises-glaces, mais dans le noir, ma main heurte le joystick de commande de la barre; balançant celle-ci en mode manuel. Le pilote automatique beugle son mécontentement à grand renfort de diodes rouges. Toujours surprenante cette alarme! Je tatonne un peu pour trouver le bouton d'aquittement. Ca devrait pourtant tenir du reflexe, ce coup, c'est la blague classique qu'on fait à tous les nouveaux embarquant: en ajoutant quelques hurlements de terreur, effet garanti! J'attrape une lampe torche. "Previous mode. Autopilot en fonction, je re-rentre le cap.


- Eddy Vedder: Society -


Je me rassoit dans le fauteuil. Puis me relève et replonge ma boule à thé dans une tasse d'eau chaude. Seconde infusion, plutôt de l'eau sucrée qu'autre chose: j'ai juste besoin de boire chaud. Porte fermée, privée du courant d'air légèrement tropical, la passerelle se rafraîchit au rythme rapide de la climatisation.


Je cogite encore. Je pense au congés à venir. Berlin, sans doute, l'appartement que j'y aurai. Sa décoration. J'imagine mon bureau, des grandes fenêtre, la grisaille. Le feu de tête de mât avant se départit de ses moustaches: la pluie a cessée. De l'autre coté des nuages, le ciel est clair, un petit croissant de lune rince les constellations les plus hautes.


- Richard Les Crees: Good inside -


Le bouton de "l'homme mort" pulse, je l'écrase avant qu'il ne se mette à sonner. Celui-ci est si strident qu'il ferait passer l'alarme du pilote auto pour un vieux chat $$$$$$$. Le jour ne vas pas tarder à se lever. A l'horizon, un petit point: navire! Je vérifie le radar, confirmation. Le premier depuis deux jours. Route opposée, CPA (closest point of approach) à 2,5 miles. Il vient sans doute de là où nous allons et va là d'où nous venons.


- Pulp: Feeling called love -


Je reporte mes points sur la carte lorsqu'elle se couvre de petits points lumineux. Le soleil émerge et se reflète dans la mini-boule à facette suspendue aux lampes de la table. Il rase les grues et me chauffe la nuque. Le navtex déroule doucement un bon mètre de papier thermique avec les messages du matin.


- Her Space Holliday: You and Me -

lundi 7 septembre 2009

Embarquement

Parfois, on a super pas la foi. Le genre de pas la foi où on voudrait juste rentrer chez soi, ou du moins rester en vacances, parce que là, vraiment: on est pô capab'.


Hier en arrivant à bord, c'est un peu le genre de sentiment que j'avais. Passé les formalités d'usages, la présentation avec celui que je relevais, le passage de la suite, je me suis retrouvé libre et seul à cogiter sur les quelques mois de mer qui se profilaient. La perspective d'un embarquement long, pis le Prince Charmant (avec lequel j'avais un peu recollé pendant la dernière semaine) laissé derrière, tout cela concourrait à me coller le blues.


Puis l'action chasse les doutes. Le premier quart, sous un soleil de plomb. Je trouve le soleil du nord différent: est-ce que c'est parce qu'il y vient plus rarement qu'il tape plus cru? Avant deux heures de ce traitement, je sentais déjà poindre la migraine. Cependant, pour un premier jour il s'agissait de faire bonne figure. Surtout j'étais plutôt gâté: une cinquantaine de minute d'opérations commerciales seulement, puis la finition en douceur avec le pilote deux heures plus tard.


19h00, pilote à bord. Il est temps de voir si l'on a pas trop perdu les bon réflexes. Je suis de manoeuvre à l'arrière. Avec moi, deux matelots et un ouvrier mécanicien, ça sera l'occasion de les jauger autant que moi, ils ont tous embarqué trois jours plus tôt à Rotterdam et certains ne connaissent pas encore le navire. Capeler le remorqueur, puis dédoubler les amarres. Les treuils grincent. Les gestes sont un peu hésitant, nos signaux parfois incompris. Larguer les gardes, les pointes, toutes les lignes sont claires. L'arrière déjà a deccosté. Un petit coup de propulseur d'étrave et le navire se place tranquillement dans le courant: nous descendons la Seine.


Terminé pour la manoeuvre, finalement efficace. Mon équipe est bonne, un peu de polissage et je pense que nous serons au top! Je remonte à la passerelle. La migraine creuse son trou lancinant. Il reste trente minutes de quart, le fleuve se déroule devant nous, rythmé par les feux, les bacs et les petits villages aux toits normands. Je discute avec le Capitaine, je le connais d'embarquements précédents; je me dis que, si je focalise moins, le temps passera plus vite.


Le pilote égraine les caps, le timonier barre en silence et derrière nous, le soleil descend. J'ai vraiment de la chance de commencer mon embarquement sur cette note. J'apprécie le paysage et le calme champêtre de ces vallons que je quitte pour plusieurs semaines. Puis viennent vingt heures, enfin, je ne demande pas mon reste, passe le quart au Second Capitaine et file au carré: la stewardess m'attend avec mon dîner. Je n'ai même pas envie de manger plus que l'entrée et le dessert: même ça, je le fais pour ne pas être à jeun au réveil!... qui devrait survenir avant peu.


Le téléphone sonne, je trébuche dans le noir sur ma valise pas encore défaite. Dans la pénombre entretenue par la lumière d'un projecteur qui filtre au travers des rideaux, je me repère, trouve l'appareil plus au son qu'au reste et décroche: le Premier Lieutenant, appel au poste de manoeuvre. Je regarde ma montre: il est à peine une heure du matin. Je ne me souviens plus m'être endormi, juste, une poignée d'heures plus tôt, chercher le sommeil et chasser le mal de tête, blotti sous ma couette dans la cabine sur-climatisée.


Chaussettes, combinaison, pull? oui, pull, il doit faire frais au large à cette heure-ci. Chaussures, casque, radio. Je mets le nez dehors et je ne regrette pas d'avoir pris l'option pull: une petite brise balaie l'estuaire de la Seine alors que nous manoeuvrons pour rejoindre le chenal d'entré au port du Havre.


"_Passerelle de l'Arrière, pour essai.

_Oui l'Arrière, je vous reçois fort et clair.

_Fort et clair également. Peut-on avoir l'éclairage et un bord à quai?

_Tout à fait. Ce sera tribord à quai dans l'écluse, vous aurez un remorqueur à prendre derrière. La remorque du remorqueur par le chaumard central."

Les projecteurs s'allument, inondent la plage de manoeuvre d'une lumière jaune. Mes matelots arrivent.

"_Tout bien reçu pour l'Arrière. L'arrière paré à manoeuvrer."


Il fait frais, le Havre scintille au delà de la mer noir d'encre; première escale; une petite envie de dormir me titille, mais sans doute pas avant la fin de mon prochain quart, à huit heure. Pas de doute, plus de doutes: c'est parti!