lundi 7 septembre 2009

Embarquement

Parfois, on a super pas la foi. Le genre de pas la foi où on voudrait juste rentrer chez soi, ou du moins rester en vacances, parce que là, vraiment: on est pô capab'.


Hier en arrivant à bord, c'est un peu le genre de sentiment que j'avais. Passé les formalités d'usages, la présentation avec celui que je relevais, le passage de la suite, je me suis retrouvé libre et seul à cogiter sur les quelques mois de mer qui se profilaient. La perspective d'un embarquement long, pis le Prince Charmant (avec lequel j'avais un peu recollé pendant la dernière semaine) laissé derrière, tout cela concourrait à me coller le blues.


Puis l'action chasse les doutes. Le premier quart, sous un soleil de plomb. Je trouve le soleil du nord différent: est-ce que c'est parce qu'il y vient plus rarement qu'il tape plus cru? Avant deux heures de ce traitement, je sentais déjà poindre la migraine. Cependant, pour un premier jour il s'agissait de faire bonne figure. Surtout j'étais plutôt gâté: une cinquantaine de minute d'opérations commerciales seulement, puis la finition en douceur avec le pilote deux heures plus tard.


19h00, pilote à bord. Il est temps de voir si l'on a pas trop perdu les bon réflexes. Je suis de manoeuvre à l'arrière. Avec moi, deux matelots et un ouvrier mécanicien, ça sera l'occasion de les jauger autant que moi, ils ont tous embarqué trois jours plus tôt à Rotterdam et certains ne connaissent pas encore le navire. Capeler le remorqueur, puis dédoubler les amarres. Les treuils grincent. Les gestes sont un peu hésitant, nos signaux parfois incompris. Larguer les gardes, les pointes, toutes les lignes sont claires. L'arrière déjà a deccosté. Un petit coup de propulseur d'étrave et le navire se place tranquillement dans le courant: nous descendons la Seine.


Terminé pour la manoeuvre, finalement efficace. Mon équipe est bonne, un peu de polissage et je pense que nous serons au top! Je remonte à la passerelle. La migraine creuse son trou lancinant. Il reste trente minutes de quart, le fleuve se déroule devant nous, rythmé par les feux, les bacs et les petits villages aux toits normands. Je discute avec le Capitaine, je le connais d'embarquements précédents; je me dis que, si je focalise moins, le temps passera plus vite.


Le pilote égraine les caps, le timonier barre en silence et derrière nous, le soleil descend. J'ai vraiment de la chance de commencer mon embarquement sur cette note. J'apprécie le paysage et le calme champêtre de ces vallons que je quitte pour plusieurs semaines. Puis viennent vingt heures, enfin, je ne demande pas mon reste, passe le quart au Second Capitaine et file au carré: la stewardess m'attend avec mon dîner. Je n'ai même pas envie de manger plus que l'entrée et le dessert: même ça, je le fais pour ne pas être à jeun au réveil!... qui devrait survenir avant peu.


Le téléphone sonne, je trébuche dans le noir sur ma valise pas encore défaite. Dans la pénombre entretenue par la lumière d'un projecteur qui filtre au travers des rideaux, je me repère, trouve l'appareil plus au son qu'au reste et décroche: le Premier Lieutenant, appel au poste de manoeuvre. Je regarde ma montre: il est à peine une heure du matin. Je ne me souviens plus m'être endormi, juste, une poignée d'heures plus tôt, chercher le sommeil et chasser le mal de tête, blotti sous ma couette dans la cabine sur-climatisée.


Chaussettes, combinaison, pull? oui, pull, il doit faire frais au large à cette heure-ci. Chaussures, casque, radio. Je mets le nez dehors et je ne regrette pas d'avoir pris l'option pull: une petite brise balaie l'estuaire de la Seine alors que nous manoeuvrons pour rejoindre le chenal d'entré au port du Havre.


"_Passerelle de l'Arrière, pour essai.

_Oui l'Arrière, je vous reçois fort et clair.

_Fort et clair également. Peut-on avoir l'éclairage et un bord à quai?

_Tout à fait. Ce sera tribord à quai dans l'écluse, vous aurez un remorqueur à prendre derrière. La remorque du remorqueur par le chaumard central."

Les projecteurs s'allument, inondent la plage de manoeuvre d'une lumière jaune. Mes matelots arrivent.

"_Tout bien reçu pour l'Arrière. L'arrière paré à manoeuvrer."


Il fait frais, le Havre scintille au delà de la mer noir d'encre; première escale; une petite envie de dormir me titille, mais sans doute pas avant la fin de mon prochain quart, à huit heure. Pas de doute, plus de doutes: c'est parti!

1 commentaire:

  1. Il ne nous reste plus qu'à te souhaiter bonne mer et bon vent (encore qu'on ne soit plus au temps de la marine à voile, tout de même) !

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