vendredi 16 octobre 2009

La remontée.

J'ai toujours du mal à réaliser quand le froid revient qu'il faut que je me couvre un peu plus. Ressortir les pulls, les pantalons, les chaussures fermées. Un peu l'inverse de la grenouille qui bout dans le film d'Al Gore. Je chope un rhume presque à chaque fois. Surtout quand l'hiver arrive à trop grands pas.


Chez nous, l'hiver arrive à coup d'environ 430 miles nautiques par 24 heures!


Ce matin, nous passerons les Canaries. Leçon du quart d'hier: j'ai pris un pull, mais trop tard; j'éternue et je mouche... Remarque, on a jamais vu personne crever par une aube à 25 degrés.


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Vous savez comme on se plaît à imaginer qu'un bon morceau des ondes qu'on émet un peu partout sur Terre vont se perdre dans l'espace pour charmer l'oreille de petits hommes verts? Eh bien, il existe cet endroit sur la côte d'Afrique: le Cap Blanc, où pour une raison mystérieuse reviennent s'écraser une partie d'entre elles.


Le Cap Blanc est un endroit étrange pour les marins. Non content d'être immédiatement voisin du fameux Banc d'Arguin qui en a médusé plus d'un (hahahaha, jeu de mot à dix balles! Ok, je vais me coucher), on y entend aussi sur la VHF des voix qui parlent à plus de mille miles de là (sachant qu'une VHF puissante émet en moyenne à soixante miles max)!


Les radars, aussi, ont la facheuse tendance de se couvrir de faux echos. Phénomène que l'on justifie par l'imposante masse de roches magnétiques qui forment le cap lui-même.

Pour ce qui est des radios, on trouvera peut-être l'explication dans des conditions atmosphériques particulières (genre l'Harmattan qui balaie l'océan un peu plus au nord) qui forment un duct d'onde.


Mais bon, je précise ça parce que je sais que j'ai un lectorat cartésien qui ne se satisferait pas de vieilles et plus modernes légendes: à part moi, je préfère bien garder à l'endroit sa part de mystère!

La fumée du Havane

La lune se reflète doucement sur la surface, signe que les vents sont complètement tombés. Le navire ne roule plus, vibre peu: il file silencieusement entre les lignes de grains. Nous traversons le pot-au-noir; encore quelques jours et ce sera le Cap-vert, puis les Canaries qui marqueront certainement notre retour à l'hiver!


Cette zone sent le vide. Bien nous va de ne faire que la traverser: à petite dose elle ramène la sérénité; mais, trop longtemps ses prisonniers, elle crée un certain malaise.

En l'occurrence, un peu de détente est bienvenue: la tournée du sud aura bien vallu pour cette fois la tournée du nord en fait d'émotions.


Si l'on voulait remonter aux causes toutes premières de nos ennuis, on se perdrait sans doute en conjectures et dans le temps, dans les historiques de maintenance de l'année écoulée. Mais contentons nous de revenir à ce que virent ceux qui ne descendent pas dans les entrailles surchauffées de notre petit navire.


Tout a commencé par un panache, un grand panache de fumée blanche qui s'élevait dans le ciel clair et matinal d'une de ces îles du nord de la Caraïbe. Pour moi, libéré du quart une heure plus tôt, le temps était à la détente et, pour ne pas manquer à la tradition, j'avais quitté le bord, armé de mon seul masque de plongée, pour aller lutter à ma façon contre mon réchauffement planétaire. La houle agitait assez copieusement la baie ouverte pour que je me contente de marcher au bout du quai avant d'abandonner polo et savates et plonger dans l'eau turquoise. Je passais une petite demi-heure à barboter comme ça avant de me décider à retourner au bateau pour lequel je devais aller faire quelques achats en ville.

C'est sur le chemin du retour que je le vis s'élever. Puis retomber avec lourdeur et se dissiper par l'arrière. Passé ce coup de semonce, la cheminée se mit à cracher en flux régulier, comme un croiseur, une quantité sérieuse de vapeur. Rien de bien normal. Arrivé à bord, je me fendis d'un coup de fil aux mécanos pour leur suggérer un coup d'oeil à leurs échappements puis, la conscience tranquille, filais à mes courses.


Nous appareillâmes le soir, mais en forme de faux départ. Quelques miles après avoir débarqué le pilote, clair des côtes et le courant ne nous portant que vers le large de la mer intérieure, au loin des îles: nous mettions en panne. Nous passâmes quelques heures à la dérive, en vue de l'île de Saba, dont les formes escarpées et malveillantes éveillent en nous, chaque fois que nous la croisons, fantasmes et curiosité. Quoi qu'il en soit rien ne viendrait étancher cette dernière et les mécanos ne viendrait pas non plus à bout du mystère de la chaudière: un problème de plus qui s'ajoute au dossier de celle-ci. Avais-je préciser comment son brûleur avait à demi exploser avant de quitter l'Europe?


L'escale suivante donna aux mécanos l'occasion d'une nuit blanche et de plus amples investigations, mais sans plus de résultat. L'origine de la fuite de vapeur demeurait introuvable. D'autres pannes vinrent ajouter au trouble, et au malaise qui gagnait entre les officiers mécaniciens. Les accusation d'incompétence volaient bas, aussi bas que la pression vapeur.


La vapeur, sur un navire motorisé comme le notre est un auxilliaire. Elle ne sert pas à la propulsion directement, mais elle n'en est pas moins vitale: elle sert au réchauffage. Au réchauffage d'un peu tout ce qui en a besoin, du moteur quand il ne tourne pas, et surtout des soutes de fuel lourd, qui sans cela deviendraient aussi solide que du goudron d'autoroute et complètement impompable: panne sèche assurée.


La chaudière est mixte: lorsque nous sommes en route la chaleur est extraite des gaz d'échappement du moteur principal, augmentant ainsi notablement le rendement de l'ensemble, à l'arrêt, un brûleur prend le relais. La vapeur tourne en circuit fermé, ce qui explique que nous ne nous autorisions pas de fuite excessive puisque la réserve d'eau est limitée. Son niveau dépend directement de ce que peut fournir le bouilleur (un désalinisateur) qui ne peut tourner qu'en route et dont la production des dernières semaines laissait déjà à désirer. Il était, en tout état de cause, incapable d'étaler une fuite qui augmenterait la consommation d'eau distillée en plus des besoins quotidiens du bord en eau douce. Le bosco avait déjà reçu consigne de se montrer plus qu'économe dans sa consommation et le lavage du pont fut reporté. A chaque port, il fallut déployer les manches pour approvisionner nos caisses en eau douce et ainsi garantir le niveau de la caisse eau distillée à laquelle le bouilleur se dédiait tout entièrement, désormais.


Dans les jours qui suivirent, d'autres difficultés vinrent éclipser la question de la fuite de vapeur qui accaparait les mécanos jusqu'à la venue d'un technicien d'Europe. En particulier, le brûleur de la chaudière devint capricieux au point de ne plus s'allumer du tout. On dut limiter les allocations de vapeur au minimum et bientôt faire tourner le moteur principal au diesel, qui ne nécessite pas de réchauffage, pendant les manoeuvres.


Tout cela nous mit légèrement en retard, sans plus, mais plomba encore un peu plus l'ambiance à la machine et nos statistiques de consommation, nous forçant à ajouter une escale uniquement pour le soutage, histoire d'être sûr de pouvoir rentrer en Europe. Après de longues tergiversation, la direction de la ligne décida de nous envoyer dans un port du nord brésilien, tapis dans la baie de San Marcos.


Une escale minutée qui durerait finalement bien plus longtemps...


A suivre...